Un orgue Espagnol ?
Beaucoup d’entre nous (organistes et non
organistes) se sont posés la question : mais pourquoi donc « un orgue
espagnol » ? Très peu d’entre
nous jouent « de la musique espagnole » à l’orgue et même si
l’Espagne est géographiquement très proche, le répertoire allemand et italien nous est bien plus familier. Il faut
dire que pour certains, des souvenirs lointains de kilomètres de musique lors
de stages ou de concerts ont grandement contribué à faire persister quelques
« a priori » en la matière.
Ayant maintenant la chance de pouvoir
jouer sur le magnifique orgue espagnol de l’église des St François, pour le
plaisir et surtout pour le service liturgique, les organistes du CDMS34 ont
tout à en découvrir.
Tout naturellement, c’est d’abord aux
facteurs qui ont réalisé cet orgue qu’ils ont demandé ce qu’était un orgue
espagnol. Depuis qu’ils ont monté leur atelier en 1991, Yann et Frédéric
DESMOTTES ont eu la chance de restaurer 35 orgues historiques en Espagne. Ils connaissent
donc bien les différences entre les grandes écoles nationales. La construction
de l’orgue ibérique de l’église des St François à Montpellier leur permet de
diffuser la culture la langue et la musique qu’ils aiment.
C’est quoi un « orgue
espagnol » ? Frédéric DESMOTTES nous l’explique
(extrait de la plaquette d’inauguration
de l’orgue les 12 et 13 mai 2012)
L’ « Orgue
Espagnol » vu de la
France :
Lorsqu’en
France on parle de « l´Orgue Espagnol » presque tout le monde pense
au modèle que Francis Chapelet a
fait connaître entre 1963 et 1968 avec
ses enregistrements des instruments de Salamanque, Trujillo et Covarrubias
réalisés pour Harmonia Mundi.
Ces
trois orgues sont de l´école castillane du XVIII ème siècle et ne sont
représentatifs que d´une seule région et d´une seule époque.
L’Espagne,
« pays composé de plusieurs pays, une histoire faite de plusieurs
histoires » :
L´Espagne -dont l´union territoriale date de
1492 avec la prise de la ville de Grenade qui marqua la fin de la reconquête
des chrétiens sur les territoires musulmans et l´unification de l´Espagne- est
un pays composé de plusieurs pays, une histoire faite de plusieurs histoires.
Depuis
la France , État
très centralisé, il est difficile de s´imaginer comment peut être l´Espagne
d´aujourd’hui, très décentralisée, avec des régions où les langues régionales
sont encore parlées par presque tous et où les traditions et cultures locales
sont défendues avec acharnement comme signe d´identité culturelle.
Selon
les linguistes, il se parle encore onze langues en Espagne, bien que le
Castillan (l´espagnol) soit la langue officielle. L´Euskera (le Basque), le
Catalán avec ses variantes (le Valencien, le Mallorqui et l´Ibicenco) et le
Galicien sont les langues les plus connues.
(Carte Espagne)
Le
développement de la facture d’orgues dans la péninsule Ibérique :
La
facture d´orgues dans la péninsule Ibérique s´est développée d´une manière très
différente selon les régions et a subi des influences extérieures importantes depuis
le XVème siècle et cela jusqu´à la fin du XVIIème siècle,
lorsqu´elle développa un instrument caractéristique.
L’influence
de l’école franco-flamande et des Flandres :
L´
école franco-flamande et les Flandres sont à la source des plus importantes
influences,
·
d´une part par les relations commerciales et
territoriales qui ont existées entre l´Espagne et les Pays Bas (territoire sous
domination Espagnol jusqu´en 1648, date à laquelle se termina la guerre des
quatre-vingt ans et de la reconnaissance de l´indépendance des sept provinces
unies)
·
et
d´autre part grâce à la présence à la cour de Madrid, à différents
moments, des trois organistes de la chapelle royale de Bruxelles, Peter
Philips, John Bull et Peter Cornet.
Des facteurs d´orgues comme le flamand Gilles
Brebos, qui construit 6 orgues à
l´Escorial (prés de Madrid) dès 1578 ou le français Guillaume de Lupe qui
arriva à Zaragoza (capital aragonaise) vers 1565, sont à la source des plus
importantes influences qu´a subit l´orgue que l´on connaît aujourd´hui en Espagne.
L’impact
de la division historique de la péninsule en deux Couronnes :
Il
faut aussi être conscient de la division historique de la péninsule en deux
Couronnes, celle d´Aragon (Zaragoza, Barcelona, Valencia et Mallorca) et celle
de Castille (tout le centre, Madrid, Toledo, Segovia, Burgos et grande partie
du nord), qui se montrent indépendantes dans leurs lignes de développement
économique, social et culturel durant le XVIe et XVIIe siècle.
La
conservation de leurs lois et privilèges respectifs, l´existence de particularités
juridiques et administratives traceront des chemins différents dans leur
devenir historique qui, logiquement, touchent aussi la construction des orgues.
Ces
circonstances font que dès le début du XVIe siècle, on trouve au moins deux tendances
parfaitement définies dans l´art de la facture d´orgues à l´intérieur de la
péninsule ibérique, dont les limites correspondent grosso modo à la division géographique des deux couronnes. Les
échanges entre les deux écoles seront sporadiques, laissant bien établies deux
lignes d´évolution pratiquement indépendantes au moins jusqu´au début du XVIIIe
siècle.
Entre
ces deux écoles les différences sont évidentes tant au niveau technique et
technologique qu´au niveau musical et visuel.
Les
différences entre les différentes écoles :
Elles
pourraient se résumer ainsi :
L´Aragon développa
un orgue d´une taille moyenne, presque toujours d´un seul clavier mais d´une
architecture sonore complète et équilibrés avec tous les principaux, toutes les
flûtes (8’ ,
4’ , 2’2/3, 2’ ,1’3/5)
Cornet de VII rangs (2’
et 1’3/5
doublés) et jeux d´anches intérieurs et extérieurs. Ici la distribution de la
chamade est chromatique et jamais plus grande que le 4’ réel ce qui allége
considérablement la structure interne de l´instrument et lui permet de sonner
plus librement.
Donc
avant de parler d´ « orgue Espagnol » il faut se situer et
définir correctement l´école à laquelle on se réfère (les
différences existantes en Espagne étant comparables avec les différents styles
d´instruments Allemands).